Destruction_of_icons_in_Zurich_1524Les « révolutionnaires marxistes » assurent les femmes de leur soutien. L’oppression de la femme est réelle, c’est l’une des pires. Mais elle n’est qu’un aspect d’une réalité plus vaste. Les femmes doivent rejoindre le mouvement révolutionnaire prolétarien.

Le « mouvement de libération de la femme » assure les révolutionnaires de son soutien. L’oppression du prolétariat est réelle, c’est l’une des pires. Mais elle n’est qu’un aspect d’une réalité plus vaste. Les femmes tiennent compte de leur spécificité, et s’organisent séparément.

Selon le point de vue qu’il (elle) choisit, chacun(e) aura éternellement raison dans ce débat, dont il s’agit avant tout de ne pas remettre les bases en question. Aucun des protagonistes ne se demande en effet ce que valent les données de départ : qu’est-ce que ce « prolétariat » ? et qu’est-ce que la « femme » ? existe-t-il un « homme » ? Tout le monde y trouve son compte. Surtout, chaque camp serait bien en peine, non de critiquer les idées de l’autre, mais d’expliquer sa fonction sociale, car il serait alors obligé de s’interroger sur la sienne. Le « marxisme » des organisations « révolutionnaires » c’est le communisme théorique transformé en idéologie. Leur « prolétariat » n’est pas le mouvement collectif de négation de la société mercantile, mais celui des travailleurs mettant en place leur démocratie, représentés bien sûr par leurs organisations. Le « Marxisme » déjà repoussé par Marx est aujourd’hui partie intégrante de l’idéologie dominante, qui le découpe, n’en garde que la partie descriptive, d’analyse des contradictions, pour mieux les aménager, et rejette l’autre, vision du mouvement vers la communauté humaine, qui seule donne son sens révolutionnaire au reste. Si les « révolutionnaires » s’en réclament ce n’est ni un hasard ni une erreur. Ne parlons pas des PC officiels par tous rejetés : mais qui comprend au fond leur rôle contre-révolutionnaire, et que la révolution devra les détruire ? le plus souvent on ne les voit que comme déviation. Mais les organisations « révolutionnaires » (grandes ou petites, bureaucratiques ou informelles, peu importe) sont la même chose que le PC, à sa gauche. Elles aident la société à bloquer les aspirations à un monde nouveau, en figeant leur processus sur des moments limités.

Par exemple, les ouvriers de LIP n’étaient pas révolutionnaires, de toute façon (cf. Le Fléau, n° 4). Ils n’employaient des moyens radicaux que pour défendre leur place dans le capital, ce qui, dans certains cas, peut justement faire éclater le capital, s’il ne peut pas leur accorder cette place. Le gauchisme vient pour expliquer à ces ouvriers que la vraie solution de leur problème n’est pas l’abolition du salariat, mais la sauvegarde de leur emploi salarié.

 

Ne pas voir le communisme

Il est frappant de voir à quel point la critique des groupes dits révolutionnaires par le mlf reste partielle (nous désignons par mlf le mouvement au sens large, non l’organisation s’appelant MLF). Il leur reproche de ne pas s’occuper des femmes. C’est parce que le mlf n’a pas trouvé sa place dans le gauchisme, qu’il le refuse. De même, le mlf, si prompt à dénoncer les tendances anti-femmes dans les positions « marxistes », prend finalement ce même marxisme pour argent comptant, incapable de faire la différence entre lui et le véritable communisme théorique. Le mlf refuse le mouvement révolutionnaire traditionnel tout en ne voyant d’autre révolutionnaire que ce même mouvement. Il critique le marxisme sans voir que son dépérissement comme théorie révolutionnaire a produit, par réaction, d’autres positions authentiquement subversives : la gauche communiste après 1917, par exemple (Bordiga, Pannekoek, Gorter, Sylvia Pankhurst, d’ailleurs venue du féminisme au communisme et victime du silence et des falsifications du mlf comme des « marxistes », etc.).

Car, lui aussi, le mlf a besoin de ne pas voir le mouvement social communiste qui s’est manifesté dans toute l’histoire, et réapparaît. Le mlf est aux femmes ce que la politique « révolutionnaire » est au prolétariat en général : une organisation (= de nombreuses organisations) prenant en charge certaines revendications, menant des luttes, mais en enfermant toujours ceux (celles ) qu’elle encadre dans une sphère limitée. Rejeté, le mlf s’est formé à l’écart des groupes politiques (y compris d’extrême gauche). Mais, comme pour eux, sa logique est de rassembler du monde pour devenir un pouvoir dans cette société.

Puisqu’il se fonde sur une série de revendications minimales depuis longtemps ou toujours négligées par la politique classique (cela ne rapportait pas assez), il prend plutôt l’aspect d’un groupe de pression (là encore, sous forme de diverses organisations).

Si ce n’était qu’un nouveau réformisme, nous n’aurions rien contre, au contraire.

A l’opposé du radicalisme… infantile, la position révolutionnaire consiste à appuyer toute lutte visant effectivement à modifier les conditions d’existence. Mais le problème ne s’arrête pas là. Car ce néo-syndicalisme ou lobbyisme, comme l’autre, joue un rôle parfaitement conservateur, n’aidant à améliorer certaines conditions de vie qu’au prix d’une intégration matérielle et idéologique renforcée. Comme l’illustre l’article sur la sexualité dans ce même numéro (1), la « libération » sexuelle coexiste avec l’aliénation complète, puisqu’on réalise une émancipation purement bornée à un domaine coupé des autres, et donc dépourvue de sens et d’universalité. L’échange des femmes, aux USA (wife swapping), crée la pseudo-communauté sexuelle limitée où « la femme devient une propriété collective et ordinaire » (Manuscrits de 1844).

  La bourgeoisie moderniste veut libérer les forces du désir (Guattari-Deleuze) et de la créativité (fin du taylorisme), utiliser la tendance à la communauté comme sut le faire le nazisme, mais de façon plus souple et diversifiée, contre la bourgeoisie traditionaliste effrayée du déclin des structures répressives, et craignant les apprentis sorciers. En fait la répression fait bon ménage avec la société « permissive » et se renforce parallèlement. On s’enfonce de plus en plus dans le règne de la tolérance répressive. L’immense majorité de ceux qui revendiquent un changement sur un point particulier propre à leur cas, trouveront une relative satisfaction même mystifiée, au moins tant que le capital n’est pas en crise économique sérieuse. Ils refusent d’être plus longtemps rejetés. Après 1871 le capital a cessé de traiter les ouvriers en barbares. Il suit aujourd’hui la même démarche sur le plan de la vie quotidienne, intégrant toutes les catégories dont il admet la différence. Le mlf est donc cohérent avec la perspective capitaliste.

  Le réformisme s’en sortira toujours en soutenant qu’il voulait « plus » que cela, qu’il faudra encore revendiquer autre chose, aller plus loin, etc. Mais, dans la mesure où il ne pose pas et même masque la véritable émancipation, force est de considérer ses déclarations comme des justifications. « Demain on rase gratis » permet de ne pas clarifier les questions fondamentales et de ne pas se préparer à les résoudre. Le mlf appartient au vieux monde comme tous les autres réformismes organisés. Comme eux, il est contraint de s’opposer à la révolution

 

Société du ghetto

 

Le mouvement dit révolutionnaire, sous prétexte de replacer le problème féminin dans la société totale, l’aplatit à un niveau où peut agir la politique, recherche du pouvoir. On réduit la question de la femme à celle de la femme salariée, afin de la caser dans le groupe des « salariés », qui, ensemble, verront disparaître leur oppression par une société démocratique gérée par eux-mêmes. Le socialisme, selon l’ex-Ligue (2), c’est « l’automation plus les conseils ouvriers ». Or, ce qui échappe au mlf, c’est que cette façon de liquider le problème féminin, d’absorber ce qu’il a de subversif, est également appliquée au reste. Chacun est pris en charge par les mouvements ouvrier, syndical, révolutionnaire, etc., censés poser son problème en termes généraux. Mais ce n’est qu’une généralité politique, non humaine (cf. l’article de Marx sur « Le roi de Prusse et la réforme sociale »). On raisonne au niveau de la société posée au-dessus de tous les rapports réels, et qu’une organisation différente du pouvoir, de la façon de l’administrer, pourrait bouleverser. On fait de la totalité une abstraction qu’on prétend modifier par une autre gestion. Le salarié, la femme, etc., se retrouve finalement dans le même isolement. Le mlf ne voit pas qu’en se réclamant sans cesse de la spécificité de la femme, il perpétue la séparation maintenue autrement par les mouvements traditionnels, fondés, eux, sur le « général » (illusoire, comme on l’a vu). Le mlf, lui, base tout sur la particularité, pour y rester.

C’est la société du ghetto : ouvrier – intellectuel – fou – jeune – underground – révolutionnaire – homme – femme – homosexuel – culturel – lycéen – etc., toutes les catégories tendent maintenant à la reconnaissance capitaliste en tant que catégories séparées. Le capital est capable d’accepter des comportements et systèmes de valeurs différents en son sein, sachant que leur développement s’effectue dans des limites inoffensives pour lui. Revendiquer sa différence, c’est à la fois vouloir être ce qu’on est, et aussi le rester, donc rester dans un ghetto, refuser la communauté humaine pour une communauté restreinte. Le capital accorde cette différence pourvu qu’on s’y limite. Réformisme de type nouveau : ayant tout colonisé, le capital voit partout naître des réformismes, non seulement « ouvrier », mais dans les aspects de la vie « quotidienne ».

Comme les syndicats réunissaient les ouvriers pour améliorer leur condition en les séparant (en métier, puis par industrie, mais cela ne signifia que leur organisation par entreprise, donc sur le principe même du capitalisme), de même les mouvements actuels rassemblent femmes, noirs, homosexuels, etc., en les isolant des autres. Dans les deux cas on retrouve une communauté en se coupant encore davantage de la communauté humaine potentielle. Dans les deux cas cela va de pair avec le développement de la communauté humaine comme idéologie. Nous ne jugeons pas plus le mlf sur ses professions de foi universalistes, que les socialistes d’avant 1914 sur leurs déclarations internationalistes.

 

Libération ?

Au sens strict, un bouleversement radical de la vie n’est pas une « libération ». La libération est le fait d’ôter une contrainte qui pesait sur soi. Le prisonnier peut se libérer sans par là détruire tout le système des prisons. Une révolution profonde fait bien plus que nous libérer des chaînes qui nous entravent, comme s’il ne s’agissait que d’exister sans ces chaînes, mais sans non plus les abolir. Elle change tout et nous-mêmes. La notion même de libération, « nationale » ou de « femmes », élimine un aspect de la société en gardant le reste, qui, finalement retombe sur les « libérés » de tout son poids.

On parle d’un monde d’hommes. Mais qui a déjà vu un « homme » ? Il n’y a pas plus d’homme que de nature humaine. Le rapport homme-femme est une relation double, non univoque, comme le rapport salarié-capital sur un autre plan. L’héroïne de Richardson, Clarissa Harlowe décrit ainsi cette relation au XVIIIème siècle : « la moitié de l’humanité torturant l’autre et étant torturé par cette torture ». De même Déjacque en 1857 : « Est-ce que l’être humain n’est pas l’être humain au pluriel comme au singulier au féminin comme au masculin ? Pour éviter toute équivoque, c’est l’émancipation de l’être humain qu’il faudrait dire. La femme, sachez-le est le mobile de l’homme, comme l’homme est le mobile de la femme ». G. Greer l’explique, l’oppression familiale de la femme est aussi oppressive pour l’homme.

Tout faire dépendre de la société mâle, relève d’une attitude magique. Cela n’éclaire pas plus que les perpétuelles dénonciations des « capitalistes », voire du « capitalisme », par les gens de gauche. La question est celle-ci : une société repose-t-elle sur la façon dont elle produit ses conditions de vie, ou sur ses rapports de domination ? Tout atteste au contraire que la domination, et ses formes, proviennent de la façon dont la société se reproduit matériellement. La place manque ici pour revenir au passage au patriarcat et à la propriété privée, qui marque le début de l’esclavage féminin. Les études de Morgan, Malinovski… et les commentaires d’Engels, Reich…. montrent le lien avec l’apparition de la société marchande.

Ce n’est pas l’homme qui opprime la femme, en dernière analyse, c’est, à travers l’homme, le capital. De même les enfants ne sont pas opprimés par leurs parents, qui ne servent que de relais à la structure capitaliste. La femme n’opprime-t-elle pas les enfants ? En ce cas il faudrait parler d’une juxtaposition de mouvements de « libération » des uns et des autres. Mais c’est justement le souhait de cette société d’enfermer chacun dans son statut (cf. les « chercheurs de statut » étudiés par Vance Packart). Et les vieux, dont la condition est aussi atroce que celle des femmes ? On estime qu’en Grande-Bretagne, chaque année, par manque de chauffage, 500 000 vieillards souffrent d’une maladie caractérisée par une température insuffisante du corps, qui est la cause principale de décès de 50 000 d’entre eux. A raisonner ainsi, chacun en opprime un autre. J’opprime le chômeur dont je prends le travail. La perspective révolutionnaire consiste justement à montrer là un effet de la concurrence et de l’isolement imposés par le salariat et l’échange, et non à dresser un groupe contre les autres. L’affirmation exacte qu’on ne peut être révolutionnaire en acceptant et en intériorisant les rôles imposés par le capital, devient absurde si l’on pose en préalable que chacun, à l’intérieur de son propre rouage, doive se libérer, et qu’ensuite (ou à la rigueur, en même temps) on changera l’ensemble de la société. C’est la justification de la séparation.

 Nostalgie de la famille

La révolution bourgeoise a libéré le travail. Libérer la femme, sans plus, ne peut signifier que faire totalement d’elle une marchandise. L’archaïsme de la situation féminine, comme de bien d’autres, est que pour le capital, la femme ne se présente pas encore comme une immense accumulation de marchandises. Elle le devient pourtant chaque jour davantage. Fourier décrivait l’amour bourgeois comme échange (cf. citations dans La Sainte Famille, VIII, 6). Maintenant la sexualité et en particulier la femme sont aussi une marchandise à titre d’images. Tant que le capital dominait la société sans l’avoir entièrement conquise, la famille de type petit bourgeois restait l’un de ses soutiens idéologiques essentiels, qu’il faisait partager aux ouvriers, au moins une partie privilégiée d’entre eux (car un grand nombre, au XIXe siècle, vivaient en marge du mariage et ne connaissaient pas de vie familiale véritable), comme l’expose Reich. La domination totale du capital sur la société, par la généralisation de la consommation de marchandises, est aussi l’effondrement de l’ancienne petite bourgeoisie, et l’apparition de la famille nucléaire (père + mère + enfants), au lieu de la famille large dont on trouve encore des exemples dans les zones arriérées d’Europe (cf. G. Greer sur l’Italie). Ce nouveau type de famille est pénétré de l’intérieur par l’échange. Lorsqu’on paye l’enfant pour un service rendu, la famille le prend un peu comme un jeu, mais il est également clair pour tout le monde qu’ainsi il apprend que tout se paie. La revendication du travail ménager payé comme tout autre travail, lancée par une partie du mlf, vise à faire reconnaître là une production qui doit être rémunérée comme les autres. Contrairement à ce qu’on dit, la « crise » actuelle de la famille ne vient pas de ce qu’elle serait devenue plus oppressive, ou plus ressentie comme telle, mais de son effondrement comme communauté protectrice. C’est même l’une des causes d’existence d’un mlf, que les revendications économiques ou politiques ne suffisent à expliquer. La famille nucléaire, dévorée comme cadre de vie par l’échange et le salariat modernes, n’offre plus le refuge nécessaire, compensation à l’atomisation sociale (même évolution pour le couple).

Dans tout le discours anti-famille, il faut lire la nostalgie de la « vraie » famille. On s’acharne à trouver des familles de substitution dans les divers ghettos évoqués plus haut : par exemple le milieu « jeunes », aux différentes couches séparées, mais unies dans la même consommation marchande. La femme est elle aussi tentée (par les contraintes du besoin de rapports avec les autres) par la communauté des femmes. On cherche une nouvelle communauté au moment où les autres font faillite, sauf celles tolérées, c’est-à-dire organisées, par le capital.

Aucun mouvement, quelle que soit l’horreur de l’oppression qui le fait naître, n’est révolutionnaire s’il agit et pense dans la perspective d’une communauté limitée. Le juif ne s’émancipe pas en tant que juif, même s’il prétend ainsi inscrire son mouvement dans un mouvement général, et encore moins s’il prétend y jouer un rôle moteur : le messianisme n’a rien à voir avec le communisme.

Au moins aux USA, cette évolution a coïncidé avec une dégradation de la place de la femme dans la vie active. Entre 1870 et 1950 la position relative de la femme s’était élevée dans la vie professionnelle, surtout jusqu’en 1920. La circulation de la valeur créait des possibilités d’emploi et même de promotion aux femmes dans les nouvelles couches moyennes. De 1950 à 1970 se produit un déclin relatif de la place des femmes, dont le statut professionnel retombe en dessous de celui de 1920 (American Journal of Economics and Sociology, juillet 1973). Les deux facteurs se sont mêlés à l’origine du mlf.

 

L’idée de Marx, voyant dans le capitalisme lui-même le destructeur de la famille, et par là de la MORALE bourgeoise, ne pouvait se réaliser que dans la mesure où le capital produisait réellement la société selon ses lois (Capital, I, XV). L’Idéologie Allemande montrait d’ailleurs que la famille persistait sous le capitalisme tout en disparaissant comme « lien interne » (I, III, H). L’insuffisance de Reich, par contre, est de ne jamais avoir compris au fond le mouvement du capital (et donc le prolétariat). Reich estime la famille indispensable au capital, parce qu’il ignore où réside la force réelle du capital. Certes, celui-ci a besoin de structures répressives, mais il assure surtout sa défense par son propre dynamisme, par la mercantilisation de toute vie sociale. Sa souplesse permet de tolérer une relative adaptation de la famille. Ce n’est pas son développement, mais l’INSUFFISANCE de ce développement, qui empêche la liquidation totale de la famille (qui n’est guère envisageable actuellement). Le capital n’a pas seulement intégré le mouvement révolutionnaire après 1917 par la force des institutions : mais aussi en développant une production de masse qui a donné le moyen à la marchandise de pénétrer toutes les manifestations de la vie.

 

La recherche d’une identité commence par le contact avec ceux (celles) qui nous ressemblent. Mais si elle se limite à ce stade, elle ne trouve qu’elle-même, son propre reflet. Ce n’est pas un hasard si la pratique de la discussion entre femmes a pris dans le mlf une importance démesurée. Moyen de se dépasser, de rompre une série de mécanismes d’auto-répression, elle devient moyen de tourner en rond. Chacune n’est pour l’autre qu’un miroir renvoyant l’autre à ses propres problèmes, sans en aborder la racine. Le mouvement social est plus qu’une inter-subjectivité. Ce recours à la communication n’est pas particulier aux femmes. Les milieux underground, décomposé, « révolutionnaire », en font le plus grand usage. Lorsqu’on est isolé, on ne peut que « discuter ». Souvent le mlf fait autre chose, mais la « prise de conscience » pèse lourdement sur sa pratique. A notre époque il est de plus en plus question de « se dire », du « discours du corps », etc. toutes ces formules, qui expriment une partie d’une réalité et d’un processus nécessaires à la révolution, traduisent aussi son renfermement sur le langage. La représentation tient lieu de transformation.

Notre temps est passionné par le langage parce qu’il éprouve du mal à faire ce qu’il dit. Il n’y a d’identité possible que dans la communauté humaine. Pour prendre un autre exemple, l’oppression des régions et nationalités est réelle, et le communisme n’est pas universel au sens de l’uniformité. Mais cette oppression ne prendra fin que dans un mouvement qui dépasse les régions et nations, et non par leur affirmation et constitution en sphères autonomes « libérées ». On ne peut mettre bout à bout une série de mouvements dont la totalité composerait la « révolution ». Le mouvement communiste est autre chose.

Les révolutionnaires font effectivement preuve de « chauvinisme mâle » lorsqu’ils reprochent aux femmes de s’organiser entre elles, et même de fermer aux hommes leurs réunions et leurs groupes. Cette volonté de retrait est dans un premier temps, compte tenu du mépris dans lequel on tient en réalité les femmes, une nécessité impérieuse, condition de l’activité. Quand on sait à quel degré les groupes « révolutionnaires » entretiennent en leur sein la répression sur ces sujets, il est normal qu’au départ les femmes s’organisent à part (de même les noirs). Le problème est de savoir si cette séparation existe dans l’organisation seulement (donc provisoire), ou par principe, dans la perspective d’une solution féminine à la question de la femme. En ce dernier cas, on pérennise l’isolement des femmes, organisé par le capital, et redoublé par le mlf.

 

Prolétaire et femme

Le communisme théorique n’est la théorie, ni de l’aliénation, ni de l’exploitation des ouvriers, mais du mouvement qui permet d’en sortir. La possibilité positive de l’émancipation humaine réside dans la formation de reconquérir une classe qui « soit la perte totale de l’homme et ne puisse se reconquérir qu’à travers la réacquisition complète de l’homme ». (Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel) Marx n’a insisté sur les « ouvriers » (aujourd’hui il faut élargir cette notion aux nouveaux secteurs productifs) que parce que seul le travail associé, collectif, création du capital, donne les moyens de s’émanciper. Le communisme n’est pas affaire d’industrialisation, s’il suppose toutefois un seuil où le travail est devenu suffisamment commun pour qu’on puisse supprimer l’« économie séparée » (Marx). La révolution n’est un problème « ouvrier » (nous employons ce mot avec les réserves ci-dessus) que parce que les ouvriers sont, par leur fonction, le moyen central de son accomplissement. Et non parce qu’en soi l’ouvrier serait plus aliéné, ou constituerait un idéal social.

L’ouvrier n’est pas plus « aliéné » que, par exemple, la mère de famille. Si son activité aboutit à le rendre étranger à lui-même, c’est aussi le cas de la mère. La notion de travail, à moins de raisonner en termes capitalistes, et de la prendre dans son sens mercantile, recouvre toute activité modifiant son environnement et soi-même. Avoir un enfant est en ce sens un travail. D’ailleurs, dans le communisme, l’amour, les enfants, la cuisine, etc., seront parmi les « travaux » les plus importants. Or, en ce moment, avoir et élever un enfant devient une opération commerciale : on calcule ce que coûterait et rapporterait le fait de rester à la maison, ou celui d’aller travailler. Dans le soin de l’enfant entre une préoccupation mercantile, où l’on choisit le plus rentable. Au surplus, on élève l’enfant dans la perspective d’une promotion sociale des parents par son intermédiaire. On forme une force de travail dont on escompte qu’elle se vendra bien, et que les parents bénéficieront de l’image de cette opération fructueuse. Comme l’ouvrier, la mère travaille donc pour autre chose que son activité elle-même. A son tour son fils fera de même. Toujours on fait quelque chose pour autre chose : aliénation. On voit ici quel est le sens des « droits » conquis sous le capitalisme. Le contrôle des naissances permet d’avoir des enfants quand on veut. Mais qu’est-ce que « vouloir » ? Sinon la liberté de choisir dans une alternative capitaliste où l’on subira de toute façon le rapport marchand.

On n’a acquis que la liberté de s’adapter du mieux possible à une vie marchande elle-même devenue plus souple, donc plus efficace.

Autrefois on investissait pour soi en ayant des enfants capables de vous entretenir dans la vieillesse. Aujourd’hui on investit pour que ses enfants se conforment à une image de réussite sociale. Le communisme théorique ne dit pas que la femme et l’ouvrier sont sur le même plan, ni que la femme doive appuyer la lutte de l’ouvrier, mais que l’émancipation de l’un et de l’autre a un centre de gravité qui tourne autour de l’ouvrier : mais pas en tant qu’ouvrier, simplement en tant que sa fonction lui donne des moyens indispensables que la femme n’a pas.

La force du communisme théorique n’est pas de mieux décrire l’horreur du monde, connue de tous, même de Saint-François d’Assise, mais de montrer le mécanisme de l’émancipation. L’émancipation de la femme sera l’œuvre du prolétariat, celui-ci étant à la fois plus et moins que les fameux « ouvriers ». Plus, parce que le prolétaire ne se définit pas de façon sociologique, mais dynamique : celui-ci est contraint de tout détruire parce qu’il n’est rien, pour exister. En ce sens, il y a des prolétaires ailleurs que chez les « travailleurs », mais seuls les prolétaires productifs peuvent se donner les moyens de la lutte. Moins, parce qu’une partie des ouvriers sera opposée à la révolution. Le problème ne peut être posé que sur de telles bases et non en recherchant les plus opprimés(es). Il est vrai que toutes les femmes sont opprimées : de même tous les enfants, tous les non-blancs, tous les vieux, etc. Le capital engendre l’inégalité. Mais les bourgeoises ne se débarrasseront pas de leur oppression par une action dirigée spécifiquement contre cette oppression , mais par une révolution communiste qui résoudra leur situation de bourgeois-es en liquidant la bourgeoisie. Non pas que cette liquidation fasse disparaître automatiquement l’oppression de la bourgeoise en tant que femme. Seul le marxisme vulgaire soutient que le changement de « l’économie » entraîne le reste, alors qu’il faut la détruire précisément en tant qu’« économie ». Mais la liquidation du rapport marchand et salarial est la condition indispensable du reste. Bien peu de bourgeoises sont et seront de toute façon révolutionnaires. Comme pour le « prolétariat », la question n’est pas seulement de comprendre ce que subissent les femmes, mais la manière dont elles le subissent, et les conditions qui permettent de lutter pour s’en sortir.

 

Néoléninisme

Au contraire, si l’on considère que « la domination de la femme est à la fois le maillon le plus complexe et le plus fondamental » des chaînes de l’esclavage, alors le chantage à l’horrible est permis (S. Rowbotham, dans The Body Politic à paraître en français). La démagogie féministe est devenue aussi écœurante que toutes les autres (sauf la démagogie ouvrière, hors concours). Avec d’autres justifications, le gauchisme féministe rejoint d’ailleurs le gauchisme habituel. Le même texte, peu connu mais qui fournit une base théorique de tout le mlf à prétention radicale, soutient que « les mouvements se développent dans le processus de leur communication » et que « les formes de communication définissent donc considérablement leur forme et leur direction ». Il aurait fallu relier l’expression à la nature du mouvement : qu’est-ce d’abord que notre société ?

Le problème de l’expression devient justement essentiel lorsque le mouvement est faible ou décline : mouvement révolutionnaire absorbé après 1871, ou mouvement de « tout le monde » ou « tout le peuple » actuellement. Le langage pose problème lorsqu’il n’y a plus communication parce que les individus sont séparés. Ce n’est pas en trouvant un moyen de communication qu’on résout le problème, mais en supprimant la racine de la séparation elle-même. Mettre en avant la question de l’expression est tomber dans le piège de la société qui favorise la substitution de l’expression à la transformation réelle. Au contraire, le mouvement communiste est celui qui abolit les conditions d’existence ; actuellement il les attaque.

Faire de l’expression le problème numéro 1, est le but de la IIème Internationale : Lénine après Kautsky veut remplacer l’idéologie bourgeoise par l’idéologie ouvrière socialiste. On justifie ainsi une organisation extérieure au prolétariat. Paradoxalement, les gauchistes soi-disant « libérés » du léninisme, mais raisonnant toujours en terme de prise de conscience, aboutissent au même effet que les bureaucrates. De même le gauchisme féministe lorsqu’il justifie un mlf séparé au nom d’une prise de conscience spécifique et d’une libération de l’expression. Pour les léninistes traditionnels l’organisation séparée apporte la conscience. Pour les autres, elle laisse intact et autonome le prolétariat (ou ici : les femmes), lui tend le micro, lui donne la parole. On fait parler / on laisse parler : c’est l’inverse. Mais que la parole pénètre les intéressé(e)s ou qu’elle en sorte, on a toujours le même facteur supposé essentiel d’une parole à exprimer. Que l’intellectuel (collectif (= parti) ou individus « autonomes ») s’impose, ou se borne à s’interposer comme relais, il justifie toujours son rôle, et un rôle primordial : c’est par la parole que se définit le mouvement. On le réduit par là à un mouvement de la conscience, soit qu’il prenne conscience de l’extérieur, soit qu’il ait besoin qu’on exprime sa conscience pour qu’il puisse exister.

Vouloir révéler ce qui est demeuré « caché dans l’histoire » (titre d’un ouvrage de Rowbotham) n’est utile que si l’on en fait autre chose qu’une connaissance NECESSAIRE pour agir. L’ignorance n’est pas plus une forme d’oppression que le savoir comme idéologie. L’éducationnisme est aussi réactionnaire que l’obscurantisme. Nous subissons la « dictature des Lumières ». Poser comme principe la nécessité d’un détour par la connaissance, ou la décision comme moment privilégié (démocratie), participe de la même erreur : inévitablement, ceux qui donnent dans l’éducation ou l’auto-éducation comme fondamentale, parlent aussi toujours en termes de POUVOIR à prendre.

C’est encore l’idée de l’intellectuel qui vient servir ; après les ouvriers, les femmes. On réinvente le léninisme cette fois démocratisé. C’est chacun qui va s’exprimer, la grande majorité parlant égalitairement, la minorité consciente tenant les journaux du mouvement et écrivant des livres. On inverse totalement le rapport social. Finalement, ce n’est même plus la classe (ici : les femmes) qui s’exprime à travers ces nouveaux médiateurs c’est leur intervention qui les fait s’exprimer. Vision d’enseignant. D’ailleurs on pourrait montrer comment les théoriciens de l’expression, lorsqu’ils « expriment », ne disent pas l’essentiel. Même les extrémistes du mlf anglais parlent du communisme de gauche en Angleterre (S. Pankhurst) pour n’en rien dire (cf. Rowbotham, Féminisme et révolution). On veut se faire les voix du silence, et on ne dit rien. Il y a bien une « école féministe de la falsification ».

 

Droits et devoirs

 De toute manière, rien n’est plus faux que voir dans le mouvement féminin ou ouvrier un facteur en soi d’émancipation humaine. En Angleterre, par exemple, le féminisme a produit en 1917-1924 l’une des meilleures composantes du mouvement communiste anglais. Mais, issue comme S. Pankhurst du suffragisme, l’autre aile du féminisme a produit l’un des meilleurs aspects de la contre-révolution, embrigadant les ouvrières dans le nationalisme en 1914 et dénonçant les révolutionnaires. Surtout le suffragisme a véhiculé l’idéologie démocratique dont on commence à comprendre qu’elle fut le grand fossoyeur de l’aspiration révolutionnaire qui suivit 1917 (et surtout en son centre : l’Allemagne). Il est totalement anti-historique de faire du mlf un mouvement par essence radical. Il ne devient tel que s’il sort de lui-même, de son ghetto.

 

Lutter pour les « droits » de la femme n’est pas en soi subversif. La notion même de droits/devoirs suppose une société qui elle-même n’est pas remise en cause. Aussi la conquête de droits n’est pas plus révolutionnaire que d’imposer à la bourgeoisie des « devoirs », comme le voulait l’ancien mouvement ouvrier d’avant 1914 : ces devoirs s’appliquent ensuite aux ouvriers (si la société est solidaire et doit bien traiter les ouvriers, ceux-ci doivent en être solidaires à leur tour).

 

De même les droits : l’égalité homme/femme, comme la solidarité bourgeois-ouvrier, impliquent des droits et des devoirs réciproques dans la même société.

 

On aboutit à une situation où l’Etat impose des sacrifices à la fois aux bourgeois et aux ouvriers, aux hommes et aux femmes, tout en maintenant ainsi une oppression aggravée (ex. de l’Allemagne nazie).

 

A une époque où le capital domine tout, revendiquer pour la femme la libération (la prise en charge sociale) des tâches domestiques, ressemble à se contenter de limiter le temps de travail. Car le capital a tout conquis, travail et loisir, temps « libre » et non-libre. Avec le prolongement de la vie, et la réduction du nombre d’enfants, la femme consacre moins de 10 % de sa vie à la naissance et au soin des jeunes enfants au lieu d’1/3 autrefois). D’où la revendication d’une libération du temps rendu disponible : mais il n’y a pas de « libération » du temps dans le monde du capital. L’être humain ne s’émancipera de la dictature du temps parcellaire qu’en s’émancipant du capital.

 

Réformisme et tragédie

 

En fait les journaux du mlf traduisent ou trahissent une certaine lucidité face à ces réalités, par leur émotion, leur ton pathétique, voire tragique (au sens d’une contradiction sans solution, – maintenant), et cette affirmation répétée qu’il faut plus que des mots, qu’il faut agir. Sans préjuger de l’avenir, où l’évolution du mlf est et sera déterminée par autre chose que lui, on ne peut s’empêcher de penser à ces femmes, telles S. Pankhurst, ou d’autres, plus reculées dans le temps, à une époque où toute révolution était exclue, animées d’une passion qui se brûle elle-même, dévorant son sujet faute d’atteindre son objet, et ensuite ne sachant où exister : elle était… Les organisations du mlf (Le MLF par exemple) s’en sortent en s’idéologisant et se réformisant progressivement. Elles finissent par entretenir avec « la révolution » le même rapport mystifié et mystifiant que cette extrême gauche contre laquelle elles étaient apparues. Tantôt elles entrent dans le réformisme traditionnel. Tantôt elles s’intègrent au gauchisme (NOW aux USA, Choisir en France), (MLF). Le mlf formel et informel réagit par une agressivité qui est encore une façade, un truc pour supporter, éviter de changer, d’approfondir, de se changer.

 

Les contestations, même violentes, renforcent le capital si elles ne s’attaquent pas à ses fondements : elles lui désignent les contradictions à organiser, et lui gagnent ceux à qui il accorde des privilèges (mouvement ouvrier « dur » avant 1914). Les suffragettes sont la preuve qu’on peut être violent et non-révolutionnaire. La vigueur de l’activité des suffragettes témoignait de quelque chose de plus que les objectifs affirmés, d’une insatisfaction profonde, d’une aspiration à autre chose. Mais l’activité et le militantisme, avaient pour fonction sociale d’user cette énergie, de la faire se dépenser sans risque pour l’ordre établi.

 

Réorganisation du capital

 Le capital est entré aujourd’hui, non en décomposition, mais dans une gigantesque réorganisation, et dispose de sérieux atouts pour en sortir vainqueur une fois de plus.

 

Bien que des mouvements révolutionnaires puissent éclater d’ici quelques semaines, la meilleure façon de s’y préparer n’est pas d’escompter qu’ils éclateront obligatoirement dans ces délais. Il est aussi inutile, dans ce contexte, d’abdiquer tout point de vue critique du mlf, qu’odieux de prolonger au sein du mouvement subversif le mépris de la femme latent dans la société. Le mlf part de revendications particulières, comme tout mouvement social. Personne ne s’agite pour l’universel. Mais il a déjà atteint le stade de la transformation de ses organisations en groupes de pression repliés sur leur problème et réagissant en concurrents des autres. Il dispose encore d’une vitalité, peut-être pour longtemps, mais, bien qu’il s’y passe bien plus d’actes subversifs que dans le reste du gauchisme, il n’en a pas moins un rôle intégrateur. La présence en son sein d’éléments radicaux et actifs ne constitue pas plus une preuve de son caractère révolutionnaire que celle de Luxemburg dans le SPD (3) avant 1914. Dans ce domaine, est décisive seulement la fonction globale de l’organisation.

 

Il était inévitable que la grande majorité du mlf évolue en ce sens, en l’absence de poussée révolutionnaire. Celles qui refusent le réformisme ne peuvent rompre avec lui qu’en quittant les organisations officielles du mlf, sans pour autant cesser d’agir comme elles peuvent, y compris au plan immédiat. Le mlf oppose le particulier au tout : le mouvement révolutionnaire n’oppose pas le tout au particulier. On ne se bat pas contre « le capitalisme » en général. Le communisme n’est pas un maximalisme. Il ne fait pas profession de radicalité. En n’ayant plus comme ennemi que « le capital », ces femmes retomberaient dans la fausse généralité (politique, ou théorique, – par l’abstraction). Le capital, c’est aussi les institutions et la « vie » à côté de nous. Mais la lutte pour les réformes n’a de sens révolutionnaire que comme expérience, non par la concession éphémère qu’elle arrache.

 

Avec deux guerres mondiales et pas mal d’autres, et le totalitarisme croissant, nous savons que le seul réalisme est la révolution ; et qu’en s’enfermant sur la conquête des réformes de plus en plus PLANIFIEES par le capital, on renforce l’Etat et les structures d’encadrement (syndicats, partis, etc.). On mesurera l’efficacité du « réalisme » réformiste en comparant par exemple les programmes du Women Liberation Workshop en 1970 et de la Women’s Emancipation Union en … 1892 : après 80 ans de réformisme, on en est encore à attendre la satisfaction des revendications élémentaires. Le capital accorde tout… ce qui le renforce dans son contrôle social.

 

Et les nécessités immédiates, dira-t-on ? il y a partout des femmes opprimées, qui se battent : que faire avec/pour elles ? On ne peut tout repousser au « lendemain de la révolution » (Kautsky). C’est vrai. Mais la question de la distance entre l’émancipation réelle (y compris personnelle) et l’action que l’on peut mener aujourd’hui, ne se pose pas qu’aux femmes. Elle existe pour tous. Un nouveau militantisme (où cette fois les femmes lutteraient pour la vraie cause, pour la révolution, mais la bonne), dissociant l’activité des problèmes immédiats, serait aussi réactionnaire que l’ancien. L’activité actuelle suppose de rompre aussi bien avec le militantisme qu’avec la passivité complaisante (cachant une détresse réelle sous un masque théorique et/ou agressif).

 

A celles qui répondent : tout cela est bien beau, mais que proposez-vous ? On ne peut que dire : votre réaction, montre que pour vous, une fois encore, le mlf – comme d’autres mouvements pour d’autres personnes – a été un havre, une solution de facilité, une nouvelle famille dont vous attendiez tout. Justement : la question de l’activité « révolutionnaire » est bien simple si on l’aborde correctement. C’est un mystère si l’on espère tout d’un mouvement collectif sans en être soi-même un élément agissant et se modifiant. Il n’y a pas de solution aux contradictions sociales, y compris à l’existence de ces êtres appelés révolutionnaires en l’absence de révolution. Plutôt, la solution est la révolution elle-même. Il n’y a pas de voie royale. Ceux et celles qui exigent dès maintenant un certificat de réussite peuvent laisser tomber. En tout état de cause, un prolétariat qui aujourd’hui ne lutterait pas contre les « empiétements du capital » (Marx) laisserait sceptique sur sa capacité de faire une révolution.

Il ne s’agit pas que la femme s’oublie en tant que femme, abandonnant son problème et ses exigences en participant au mouvement révolutionnaire. Pourquoi craindrait-elle tant d’être bernée ? S. de Beauvoir n’a été « flouée » que parce qu’elle s’était lancée dans la politique, et parfois la plus méprisable. Cette hantise de la « récupération » est encore une preuve de faiblesse. La femme n’a pas été plus trahie par les mouvements antérieurs que les « hommes » n’ont perdu leurs problèmes de vue avec leur intégration au capital. Partis de la lutte contre des conditions d’existence, les prolétaires en sont venus à les aménager, à défendre l’Etat et le capital.

 

Ce n’est pas le mouvement révolutionnaire masculin qui a absorbé le féminin, c’est la société capitaliste qui les a absorbés tous les deux. Les mouvements antérieurs n’ont pas échoué parce qu’ils ont négligé les femmes. Ils ont négligé les femmes – et le reste – parce qu’ils ont échoué. Trompées, les femmes n’ont pas été les seules. Elles ont servi de masse de manœuvre à autre chose que leur émancipation, exactement comme le prolétariat dans son ensemble. Et c’est ce qui se reproduira, pour les unes et les autres, si les prolétaires n’attaquent pas les bases de la société dans les prochains mouvements. Le mlf rend un mauvais service aux femmes en contribuant à obscurcir la perspective communiste.

 Masculin- féminin

 

Dans les échecs précédents, la sous-estimation de la question féminine a sa part, mais elle n’en est pas la cause. Remettons les choses sur leurs pieds. Au lieu de distinguer, comme Proudhon, les « bons » et « mauvais » aspects de la condition féminine en Chine actuelle (Féminisme et révolution) mieux vaudrait comprendre ce qu’est la Chine : un pays capitaliste au développement original (comme d’autres).

Certaines contraintes sur les femmes y sont moindres, d’autres bien pires qu’ailleurs. Il est intéressant, mais au fond normal, de voir le gauchisme féministe trouver des aspects positifs dans la condition féminine chinoise, qu’il dénoncerait comme « fasciste » si un politicien osait la suggérer en Occident.

 

Le féminisme ne pouvait manquer de tomber dans tous les panneaux du gauchisme, s’extasiant devant la pouponnière modèle, la démocratie directe, les assemblées ouvrières, dès que l’Etat est celui « des travailleurs ». Le plus grave est que finalement le mlf ne soutient pas les pays dits socialistes, ce qui permettrait au moins de l’attaquer sur ce point. Il les accepte, voilà tout, comme des expériences, comme d’autres acceptent autre chose.

 

Ce mouvement parti pour clarifier et mettre les choses au point, au moins sur la question de la femme, ne tranche rien de décisif. Il améliore. De même il accepte absolument « la révolution » et « le socialisme », il est même pour, sans approfondir à condition qu’on le laisse lutter de son côté, parallèlement au « prolétariat », bien sûr (on sait où se rejoignent les parallèles). Que chacun lutte, l’unification se fera. On fait comme si le mouvement révolutionnaire était l’addition d’une série de luttes différentes, qui ne peuvent ainsi que se heurter les unes aux autres, et non se recouper, s’appuyer.

 

Se complaire dans la condition féminine est aussi réactionnaire que se complaire dans la condition ouvrière. Ni l’égalité ni le contrôle sur notre vie ne sont révolutionnaires, lorsqu’il s’agit de bouleverser ces conditions.

 

On assiste depuis quelques années à la naissance d’une foule d’interprétations à partir d’un point de vue : vision homosexuelle, féminine, jeune, tiers-mondiste, etc., du monde. De même, après 1871, on réinterpréta largement l’histoire, à l’intérieur du mouvement socialiste, à la lumière des travailleurs et du travail, jusque-là négligés. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’aller au fond pour voir le chemin d’une émancipation totale, mais de donner aux travailleurs – femmes -coloniaux – … – une place plus large que celle qui leur est due ; dans la même société, dans le même monde, en les y enchaînant davantage.

 

On a vu en quoi le communisme théorique insiste sur ceux qui peuvent disposer des moyens de production : non parce qu’ils ont en eux-mêmes un droit spécial ou une vertu originale, ni que le communisme soit le travail généralisé. En aucun cas on ne doit céder au chantage de la condition ouvrière, féminine, homosexuelle, tiers-mondiale, ou autre. Nous n’avons de leçon de souffrance à recevoir de personne. La misère n’est pas pour nous une donnée quantifiable à mesurer pour déterminer le plus opprimé, donc le plus révolutionnaire potentiellement. Nous ne sommes pas les sociologues de la misère. Là où les distinctions s’imposent, c’est à fin de démontrer le « comment » de la révolution future. Bien plus, celui (celle) qui tombe victime de ce chantage à l’exploitation maximum, ou qui exerce une telle démagogie, prouve qu’il (elle) a encore besoin d’une justification ou d’une caution. Son besoin de révolution doit être bien pâle. La glorification de l’ouvrier en tant qu’ouvrier, de la femme en tant que femme, de l’homosexuel en tant qu’homosexuel…, autant de moyens pour briser l’aspiration à une communauté humaine.

 

Constance CHATTERLEY

 Article initialement publié dans , Le Fléau social, n° 5-6, 1974.

 

Notes de l’éditeur :

 (1) Abel Bonard, « La danse de mort du sexe autour des couteaux glacés de l’ennui », p. 15-19. (N.D.E.)

(2) Il s’agit de la Ligue communiste, organisation trotskiste dissoute en juin 1973 et reformée quelques mois plus tard sous le nom de Ligue communiste révolutionnaire (organisation auto-dissoute en 2009 pour donner naissance au NPA). (N.D.E.)

(3) Parti Social-démocrate d’Allemagne. Rosa Luxemburg en anime alors l’aile gauche qui deviendra le Parti communiste en 1919.