Le jour où les pédés firent la chasse à leurs prédateurs.
Comme la plupart des jardins publics, les Buttes-Chaumont sont un lieu propice aux rencontres entre des hommes qui préfèrent leurs semblables, la clandestinité étant le plus souvent leur lot. Ces jardin sont aussi le terrain de chasse de jeunes brutes qui viennent « casser du pédé ». Au printemps 1971, les participants à ce réseau informel qu’était encore le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) décidèrent que cet état de choses avait assez duré et qu’il fallait passer à l’offensive. Un groupe essentiellement composé de garçons fut donc constitué et déferla par la rue Manin. Les chasseurs, chassés à leur tour, furent vite mis en déroute, submergé par le nombre, les hurlements suraigus des « folles » et une violence bien virile à laquelle à laquelle ils ne pouvaient s’attendre. Ils comprirent ainsi que les « pédés » étaient aussi des hommes résolus, qu’ils pouvaient cogner dur et faire reculer l’homophobie. Comprirent-ils aussi que la lutte pour la liberté des choix sexuels n’étaient qu’un des nombreux visages de la lutte pour la subversion des rapports imposés par la société bourgeoise ? L’histoire ne le dit pas, mais nombre de militants homosexuels ne l’avaient sans doute pas plus imaginé. En effet, la disparition du FHAR pour laisser place dès le début 1974 au Groupe de libération homosexuel (GLH) en dit long sur la dilution de la dimension révolutionnaire du mouvement des homosexuels et préfigure le communautarisme intégrateur à l’américaine qui fleurit aujourd’hui les rues du quartier du Marais et enrichit ses commerçants.
Lola Miesseroff
Extrait de Un Paris révolutionnaire, L’Esprit frappeur/Dagorno, 2001, p. 335.